Huit crimes parfaits, traduit par Christophe Cuq, chez Gallmeister.
Ce qui attire l’œil d’abord, c’est la couverture (comme souvent chez Gallmeister!) : un chat roux assis sur une pile de livres vous fixe de ses yeux verts. Et il faut un effort pour se détacher de son regard hypnotique (ou de la pile de livres marqués par des signets rouges) pour remarquer sa langue bifide. Voilà, le ton est donné. Le roman de Peter Swanson, traduit par Christophe Cuq, commence comme un whodunit classique, un roman à l’anglaise qui ne se prive pas d’ailleurs d‘afficher cette filiation et de citer abondamment Agatha Christie : Malcom, libraire de Boston spécialisé dans le roman policier, reçoit, en pleine tempête de neige, la visite d’une agent du FBI, Gwen Mulvey. Celle-ci enquête sur des morts énigmatiques, dont l’un semble tiré tout droit d’ABC contre Hercule Poirot, et l’autre d’un roman de James M. Cain. Or Malcolm a publié sur son blog de libraire, il y a quelques années, un article intitulé « Huit crimes parfaits » dont le meurtrier pourrait bien s’être inspiré. Gwen Mulvey compte donc sur les lumières de Malcolm pour avancer dans son enquête. A moins qu’elle n’ait une autre idée en tête.
Truffé de références à la littérature policière, Huit crimes parfaits est plein de clins d’oeil à quelques maîtres du genre. Quoi de mieux qu’un libraire spécialisé pour les faire découvrir ou redécouvrir ! Malcolm, le narrateur, livre des constats doux amers sur le pouvoir des livres («Les livres sont comme des voyages dans le temps. Tous les vrais lecteurs savent cela. Mais ils ne vous ramènent pas seulement à la période où ils ont été écrits, ils peuvent aussi vous ramener à d’autres versions de vous même. » ) et d’autres plus sombres sur le monde qui devraient attirer notre attention (« Peut-être toutes ces années passées dans des univers fictifs bâtis sur la tromperie avaient-elles biaisé ma vision des choses, mais à dire vrai, je ne faisais pas plus confiance aux narrateurs qu’aux gens réels. On ne nous dit jamais toute la vérité. Lorsqu’on rencontre quelqu’un pour la première fois, avant même d’échanger les premiers mots, les mensonges et les demi-vérités sont déjà là. »)
Évidemment, les choses ne sont pas telles qu’on peut les imaginer, et Peter Swanson joue admirablement des « mensonges et des demi-verités ». L’atmosphère glacée de l’hiver de la côté est contribue largement à ce malaise diffus qui nous envahit au fur et à mesure de la lecture et que distille savamment le narrateur. Les personnages sont plutôt bien campés et l’agent Gwen Mulvey que Malcolm compare à la Clarice Sterling du Silence des Agneaux (Thomas Harris, 1988) est beaucoup plus trouble et étrange que celle-ci. Elle apparaît, disparaît, et tourne comme une guêpe autour de Malcolm, jusqu’à la révélation. Cependant celle-ci n’est pas là où on pouvait l’attendre, c’est à dire à la fin. Au contraire, c’est au tiers du roman qu’un premier coup de tonnerre éclate et fait changer le livre de voie. Il prend alors un virage beaucoup plus sombre, plus tendu aussi . Ce n’était pas un whodunit classique, mais un thriller, surprenant, cultivé et malin !
Peut-être aurait-on dû être plus attentif à l’avertissement de départ ?